« La France est presque notre pays maintenant et, en même temps, c’est comme l’Afrique du Sud» : ces mots d’un ouvrier agricole marocain dans les Bouches-du-Rhône me semblent résumer le mieux la situation de discrimination vécue par de nombreux immigrés, leur vision de la « mise à part » dont ils font les frais.
Le racisme n’est pas la cause de cette discrimination. Il l’accompagne et la justifie. Mais aucun racisme, si « populaire » soit-il— c’est lui qu’on invoque parfois pour justifier des mesures de discrimination — , ne fondera jamais aucune légitimité. Le racisme ne devrait pas être l’arbre qui cache la forêt. Ce n’est pas parce qu’ils sont arabes, noirs ou portugais que des immigrés sont surexploités. Les patrons, grands et petits, aiment les travailleurs immigrés ! Mais ils les aiment comme les planteurs aimaient les esclaves : à leur place.
«Chacun à sa place » : tel était le “concept” de base des inventeurs de l’apartheid sud-africain. Dans la société où nous vivons, la place des uns est tout en haut, celle des autres tout en bas. La richesse et le prestige des premiers — ceux qu’on voit tous les jours à la télévision, quand ils ne la possèdent pas — s’appuient sur le travail des autres. Quand les autres sont exclus des droits, de la citoyenneté, ils sont encore plus dignes d’« amour». Comme l’apartheid en Afrique du Sud, la «mise à part » en France a des fondements économiques. La discrimination politique et sociale entretient et conforte la société à étages, la discrimination économique, qui prend de plus en plus souvent la forme d’une discrimination ethnique.
Fausto Giudice
GW –
Etre tête de Turc de ce côté du Rhin n’est pas plus réjouissant que de l’autre. Les dossiers de la galère immigrée que Fausto Giudice a rassemblés, à partir de témoignages sur le travail (au noir ou à la portugaise), le logement (et les incendies dans certains arrondissements de la Ville Lumière), les seuils de tolérance à l’école ou dans notre Midi… raisonnent d’un même mot : miseria, mizirya… Misérabilisme qui présente l’exceptionnel, l’accidentel, comme le quotidien ? Le problème n’est pas là, cette France à part est une part de la France, et ces discriminations sont une perversion de la démocratie.
En ces temps de Bicentenaire où l’autosatisfaction aura été la chose la mieux partagée, il n’est pas inutile de rappeler que les « rideaux de papier » et l’exploitation du Sud par le Nord s’accompagnent fort bien du discours universaliste abstrait sur les droits de l’homme Ne serait-ce que pour rappeler aussi que c’est de la misère que naissent intégrismes et terrorismes.
Claude Liauzu, Le Monde Diplomatique, octobre 1989